Imaginez une photographie spatiale sur laquelle, pour chaque pixel, il est possible de déterminer précisément la nature de l’objet observé. C’est là tout le challenge de l’imagerie hyperspectrale spatiale.
La plupart des imageurs (instrument qui réalise des images) optiques spatiaux sont multi-spectraux. C’est-à-dire qu’ils prennent une même scène dans 3, 4 voire une dizaine de longueurs d’onde différentes, qui correspondent à autant de couleurs. Un imageur hyperspectal, lui, prend une même image dans plus de 200 couleurs différentes ! Une différence prometteuse pour les scientifiques - pas pour notre œil qui ne voit qu’en rouge, vert et bleu.

Signature spectrale
Le principe d’un imageur optique est (relativement) simple : il capte les signaux réfléchis par la zone « photographiée » et qui correspondent aux reflets de la lumière du Soleil sur les surfaces présentes. Il s’agit d’ondes électromagnétiques.
Chaque type de surface, eau, roches, végétation, immeubles… réagit différemment avec le rayonnement solaire (absorption, réflexion…), et différemment aussi selon chacune des longueurs d’onde. Par exemple les plantes absorbent fortement les longueurs d’onde autour de 600 nm (le rouge), tandis qu’elles réfléchissent fortement celles qui se situent dans le proche infrarouge (800 nm). Ces données reportées sur une graphique donnent ainsi une courbe caractéristique des plantes, avec des creux (quand la longueur d’onde est absorbée et donc que le signal renvoyé par la zone observée est faible) et des crêtes : c’est sa signature spectrale appelée réflectance spectrale.
Et cela va même plus loin. Car la réflectance spectrale d’un objet dépend non seulement de sa nature, mais aussi de sa taille, de sa croissance, de son abondance, de sa composition chimique, de sa température… Les scientifiques se réfèrent ainsi souvent à des bibliothèques de réflectances spectrales. Ils peuvent également, grâce à des modèles, retrouver les propriétés géophysiques de l’objet. Dans le cas de la végétation, des images hyperspectrales peuvent ainsi les renseigner sur la quantité de chlorophylle ou le taux d’humidité de chaque plante. On peut suivre leur évolution grâce à des prises de vue régulières.
On comprend que plus l’image sera prise dans un nombre important de longueurs d’ondes et plus les données recueillies seront riches d’informations et précises. Et précieuses pour les scientifiques.

La technologie spatiale de demain
L’imagerie hyperspectrale est aujourd’hui en pleine évolution. Un premier satellite américain utilisant cette technologie a été lancé en 2001, Hyperion. Puis quasiment plus rien… jusqu’à ces dernières années. En 2019, l’agence spatiale italienne a notamment mis en orbite le satellite PRISMA, qui fournit des images hyperspectrales avec une résolution de 30 mètres. En fin d’année, EnMAP (Allemagne) doit le rejoindre, puis ce sera le tour de CHIME (ESA) en 2028 (voir encadré).
Notre défi est maintenant d’atteindre une résolution spatiale de l’ordre de 10 mètres, pour répondre plus efficacement aux problématiques scientifiques et environnementales.
Aimé Meygret, chef du service Physique de la Mesure Optique au CNES
Mesurer des hauteurs d’eau sur des bandes côtières, cartographier des roches, suivre l’état de santé des forêts et des cultures…
Un défi ? Car meilleure est la résolution spatiale - c'est-à-dire plus petite est la zone observée - plus faible est le signal renvoyé vers le capteur optique. Un signal qu’il faut encore « diviser » selon les différentes longueurs d’onde. Il devient alors beaucoup plus difficilement perceptible par l’instrument en orbite.
Au CNES, les ingénieurs travaillent sur l’hyperspectral depuis une quinzaine d’années. Deux technologies existent aujourd’hui : à filtres ou à dispersion. La première consiste à placer des filtres, correspondant aux différentes longueurs d’onde, devant le capteur. La seconde disperse le flux lumineux capté selon les longueurs d’onde. Une technologie éprouvée mais plus lourde et volumineuse.
« Notre challenge détaille Vincent Costes, ingénieur optique au CNES, est de développer des imageurs hyperspectraux très compacts afin de les embarquer sur un satellite. » Reste à faire tenir 200 filtres côte à côte devant un capteur de 15 mm de large !
Mais les prochaines années pourraient donc voir apparaître des satellites associant des fonctions d’imagerie à haute résolution et de spectrométrie. Pour des usages presque infinis.

Le CNES, en pointe sur l’étalonnage et le traitement d’images
Pas de bonne image, sans étalonnage ! Pour que chaque longueur d’onde corresponde physiquement à la bonne couleur, ou pour transformer le compte numérique de l’image en la grandeur physique observée (luminance ou réflectance), il faut étalonner l’instrument. Faire que la longueur d’onde de 550 nm corresponde à cette nuance de vert, celle de 560 nm à cette autre nuance de vert…
Reconnus pour leur expertise dans ce domaine, les ingénieurs du CNES sont souvent sollicités pour accompagner divers projets, comme cela a été le cas pour les satellites SENTINEL-2 et 3 (Commission Européenne et ESA), PRISMA (Italie) ou les futurs satellites Pléiades Neo d’Airbus DS.
Le CNES possède également une forte expertise dans le traitement de l’image. Les images prises par les satellites, pour représenter au mieux la réalité, doivent être corrigées de certaines « erreurs » causées par la mise en orbite de l’instrument ou l’atmosphère. Le signal lumineux réfléchi traverse en effet l’atmosphère terrestre avant d’atteindre le satellite. Et en subit les perturbations. il faut donc connaître les propriétés optiques de l’atmosphère au moment de la prise de vue (certaines fournies par la météo) pour supprimer ces perturbations.
Pour cela, le CNES a initié, avec d’autres agences spatiales, un réseau de sites instrumentés qui fournissent 7 jours sur 7, du lever au coucher du Soleil, les propriétés de l’atmosphère et de la surface. Complètement automatisés, ces sites se situent dans la plaine du Crau (Sud Est de la France), en Namibie, aux Etats-Unis et en Chine.
CHIME, l'hyperspectral au service des sols
Dans le cadre de la poursuite du programme européen Copernicus, l’agence spatiale européenne propose de développer la mission CHIME. Il s’agira d’un imageur hyperspectral, observant sur des bandes de 10 nm entre les longueurs d’ondes comprises entre 400 et 2500 nm avec une résolution de 30 m. « Notre volonté est de répondre plus finement aux besoins des utilisateurs, explique Véronique Mariette, Responsable du Programme Copernicus/Météo au CNES. L‘imagerie hyperspectrale permettra notamment de mieux caractériser l’occupation et la composition des sols, pour des usages agricoles et environnementaux. »
Le lancement est prévu pour 2028.
optique VS radar
Il existe 2 grands types d’imageurs : optique et radar. Les concepteurs des missions spatiales pèsent ainsi le pour et le contre de chaque technologie pour voir laquelle répond au mieux aux besoins. Car si la technologie radar permet de s’affranchir des nuages et de la nuit, l’imagerie optique, notamment hyperspectrale, apporte des informations très utiles aux scientifiques : celles contenues dans les couleurs de l’image !