2 Juin 2020

[Covid-19] La contamination spatiale : bienvenue en salle propre

Les satellites et sondes spatiales ont 3 grands ennemis. La contamination particulaire avec la poussière, chimique avec la dégradation des matériaux et biologique avec la vie microbienne. Il en va du succès des missions et de la fiabilité des résultats scientifiques. Delphine Faye, ingénieur contamination au CNES, nous fait découvrir ce dont le spatial dispose pour lutter contre tous ces dangers invisibles.

En guerre contre la poussière

Préparation en chambre stérile de Supercam (Mars 2020), IRAP à Toulouse le 29 avril 2019 © CNES

La première barrière contre la contamination consiste à travailler en salle propre (aussi appelée salle blanche). C’est un environnement dont la température, l’humidité et la pression sont rigoureusement contrôlées. À l’intérieur, une pression supérieure à la pression atmosphérique sert à éviter que des particules en suspension dans l’air ne rentrent avec le personnel : l’air ne circule que dans un seul sens, vers l’extérieur.

« On peut faire une cascade de pression entre le sas et la salle propre et même avec d’autres zones dans la salle propre, explique Delphine Faye. Ce sont des salles relativement grandes, classées ISO 8 voire ISO 5 selon les normes de propreté. Mais les salles propres ne sont qualifiées qu’en termes de propreté particulaire de l’air, avec des compteurs de particules. Dans le spatial on va plus loin que ça, on doit s’intéresser à ce qui tombe et sédimente sur les surfaces. »

Delphine Faye, experte contamination au CNES

Pour cela, Delphine Faye utilise des plaques, appelées témoins, exposées à l’environnement pour collecter les contaminants qui seront analysés en lumière infrarouge.

« Les témoins sont généralement des miroirs disposés dans les salles propres. Nous transférons ce qui s’est déposé sur un substrat transparent aux infrarouges, le séléniure de zinc. Dessus, nous recherchons 4 types de contaminants : les hydrocarbures, les esters (exemples : phtalates) et 2 types de silicones. Cela nous donne des concentrations surfaciques en grammes par mètre carré, et nous comparons ces valeurs à celles que nous nous étions données au départ. Il y a des témoins contrôles dans la salle que nous remplaçons tous les 10-15 jours, et d’autres à proximité du satellite. Et nous pouvons être amenés à faire des prélèvements directement sur les surfaces. Pour le moment c’est donc de la collecte passive, mais des capteurs sont en train d’être développés pour faire de la collecte en temps réel dans les salles propres. »

Témoins contaminé (5000 parties par million) et nettoyé (quelques ppm)

Protection planétaire et contamination spatiale

À la contamination chimique s’ajoute le risque biologique pour les sondes d’exploration du système solaire. En visitant des planètes, lunes ou autres petits corps, il faut préserver au maximum les environnements visités de la vie terrestre. L’exobiologie, la recherche de la vie et des conditions de son apparition dans l’univers, est une science qui prend de plus en plus de place dans le spatial. Il faut donc veiller à ne pas emporter de vie terrestre susceptible de contaminer une autre planète, ce qui équivaudrait à marcher sur nos propres traces. On parle de protection planétaire.

Prélèvement sur Schiaparelli (ExoMars 2016) © ESA

« Pour la protection planétaire, poursuit Delphine Faye, nous effectuons des prélèvements sur les surfaces de la salle propre et sur l’instrument spatial. Il est arrivé quelques fois que le nombre de spores bactériennes dépasse le seuil critique. Dans ce cas-là, il faut appliquer des méthodes de nettoyage drastiques pour diminuer cette flore bactérienne. Nous pouvons utiliser des traitements chimiques avec de l’alcool isopropylique ou un plasma de peroxyde d’hydrogène. Ils ont l’avantage de pouvoir être utilisés à température ambiante. Il y a aussi des traitements de nature physique comme les rayons UV et gamma, mais ils ne stérilisent que la surface. La technique la plus efficace et qui stérilise la totalité de l’instrument, c’est la chaleur sèche, entre 100 et 125°C, pendant plusieurs heures. »

Et comme pour la contamination chimique, la contamination biologique prépare ses innovations. Pendant sa mission Proxima dans la station spatiale internationale en 2016-2017, Thomas Pesquet a emmené l’expérience Matiss, développée par le CNES au CADMOS. Ces boîtes sont constituées de différentes surfaces anticontamination pour vérifier lesquelles sont les plus efficaces dans un environnement spatial. Thomas Pesquet les a disposées dans le module européen Colombus. Ce genre de surfaces pourrait très bien être utilisé dans les salles propres, et plus généralement là où les risques de contamination sont élevés. Depuis, Matiss-2 a déjà été testé à bord de la station, Matiss-2.5 y est actuellement, et Matiss-3 est en préparation. Les premiers résultats devraient paraître très prochainement.

L'expérience Matiss à bord de la station spatiale internationale. © ESA/NASA, 2016

Le risque zéro n’existe pas

Mais toutes ces précautions de décontamination ne suffisent pas à garantir une parfaite stérilité. Si la grande majorité des germes sont détruits, les spores bactériennes résistent particulièrement bien. Ce sont des bactéries sous forme latente et déshydratée, qui attendent des conditions plus favorables pour se réactiver et se reproduire. Les destinations des sondes spatiales ne le leur permettent pas, mais leur présence doit être réduite au maximum pour les instruments d’exobiologie et de retour d’échantillons.

« Si nous avons du matériel dédié à la recherche de la vie, le nombre de spores exigé devra être extrêmement réduit. L’absence de spores n’existe pas. Donc nous appliquons les recommandations de protection planétaire du COSPAR (Committee on Space Research) selon le type d’instruments et le fait que ce soit un retour d’échantillons. Il faut faire beaucoup de prélèvements, il faut en faire plusieurs sur une même surface, et ils coûtent très chers. La décontamination peut représenter 10 à 15% du prix d’une mission à but biologique. »

En ce moment, c’est Mars qui occupe beaucoup l’exploration spatiale. Récemment, Delphine Faye a participé au contrôle microbiologique de 3 missions martiennes :

  • Le sismomètre SEIS de l’atterrisseur InSight, arrivé sur Mars en novembre 2018.
  • La caméra Supercam à bord du véhicule Perseverance. La mission Mars 2020 de la NASA partira en juillet 2020.
  • Les instruments Wisdom et MOMA-CG du véhicule Rosalind Franklin. La mission ExoMars 2020 de l’ESA vient récemment d’être reportée de 2020 à 2022.

Prélèvement sur le sismomètre SEIS (mission InSight) © CNES

MOMA en particulier devra détecter la présence de biomarqueurs ou de biosignatures dans les échantillons martiens. Et le report ne doit pas compromettre la décontamination déjà faite : « Un exemple d’instruments très critiques c’est la chambre analytique d’ExoMars : c’est là qu’on analyse les prélèvements. Avec ce report de 2 ans, nous allons conserver la stérilisation déjà faite, et la revérifier avant le départ. »

Et réciproquement, le retour sur Terre d’une mission avec des échantillons venus d’ailleurs doit se faire avec une grande prudence. L’existence de la vie n’est toujours pas prouvée, mais la stérilité non plus : elle doit systématiquement être vérifiée comme ce fut le cas pour les roches lunaires des missions Apollo. La question se posera lors d’un retour d’échantillons martiens, envisagé par l’ESA et la NASA avec Mars Sample Return en 2031, à partir des échantillons prélevés par Perseverance.

Pour aller plus loin

Contacts

Delphine Faye, experte contamination au CNES
Mail : delphine.faye at cnes.fr
Tel : +33 (0)5 61 28 18 12
Adresse : 18 avenue Edouard Belin 31401 Toulouse Cedex 9

Michel Viso, responsable « Exobiologie, protection planétaire et exoplanètes » du CNES
Mail : michel.viso at cnes.fr
Tel : +33 (0)1 44 76 79 51
Adresse : 2 place Maurice Quentin 75039 Paris Cedex 01