18 Décembre 2019

DORN, l'instrument français de la mission Chang’e 6

L’atterrisseur de la mission chinoise Chang’e 6 sera équipé de l'instrument DORN dédié à la mesure du radon. Objectifs : étudier le dégazage du régolithe mais aussi le transport de ce gaz radioactif dans l’exosphère de la Lune avec des extrapolations possibles à d’autres espèces telle l’eau. Lancement prévu en 2023.

L’instrument DORN (Detection of Outgassing RadoN et aussi nom du physicien, Friedrich Dorn, ayant découvert le radon) mesurera pour la 1ère fois la concentration de radon depuis la surface de la Lune. Du haut de leur orbite, les sondes américaines Apollo 15 et 16 (1971-1972), Lunar Prospector (1998-1999) et la sonde japonaise Kaguya (2007-2009) ont révélé des variations spatiales et temporelles de ce gaz radioactif issu de la désintégration de l’uranium. Mais aucune mesure n’a été réalisée in situ. DORN sera capable de détecter les particules alpha émises lors de la désintégration du radon quelques dizaines de mètres autour de l’atterrisseur avec une sensibilité 10 fois plus grande que ses prédécesseurs en orbite.

Indicateur du dégazage lunaire

DORN estimera le dégazage issu de la croûte et sa contribution à l’exosphère de la Lune. Cette exosphère a une durée de vie extrêmement courte à cause de son interaction avec le rayonnement UV et le vent solaire qui la chassent rapidement, ce qui nécessite sa régénération permanente. Une des sources est le dégazage de la croûte (hélium-4, argon-40 et radon) — les autres sources étant le vent solaire (hélium-4 et argon-36), les interactions entre le vent solaire et la surface lunaire (sodium, potassium, CH4, N2, CO2, etc.) et les impacts de météorites (H2O notamment).

Le radon est le traceur idéal du dégazage lunaire.

Il ne peut provenir que du régolithe. Par ailleurs, les courtes durées de vie de ses isotopes (5,5 jours pour le radon-222 et seulement 1 min pour le radon-220) permettent de remonter plus facilement à la localisation de son émanation qu’avec l’argon-40, dont le temps de résidence dans l’exosphère est d’environ 25 jours » explique Pierre-Yves Meslin, chercheur à l’IRAP et investigateur principal (PI) de DORN.

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Logo provisoire de l’instrument DORN. 

Illustration de l’atterrisseur Chang’e 5 portant le module de remontée des échantillons lunaires. L’atterrisseur de Chang’e 6 sera une copie de ce robot. Crédits : CNSA/CLEP. 

Pierre-Yves Meslin est un expert du radon extraterrestre. Financée par le CNES et l’IRSN, sa thèse soutenue en 2008 portait sur le radon martien. Il a aussi étudié le radon mercurien.

Percer le mystère des cratères lunaires remplis de glace d’eau

Les différences de période des 2 isotopes du radon permettront de contraindre la dynamique du transport du radon et de distinguer ce qui est dégazé localement de ce qui provient d’une région plus vaste autour de l’atterrisseur. Le retour d’échantillons lunaires par la mission Chang’e 6 offrira aussi la possibilité de comparer les mesures in situ avec celles effectuées en laboratoire : teneur en uranium, émanation de radon, dépôts surfaciques des descendants du radon, propriétés de transport de gaz,…

Comprendre le transport du radon sur la Lune, c’est aussi toucher du doigt le transport des molécules d’eau et appréhender la présence de glace d’eau aux pôles de la Lune. « L’abondance d’eau glacée détectée dans des cratères ombragés suppose que l’eau migre vers les pôles où elle est piégée comme dans un congélateur. Mais on connait peu de choses sur le transport des gaz dans l’exosphère lunaire. Par la mesure du radon, on comprendra mieux la migration de l’un d’entre eux, et l’on pourra ensuite adapter les modèles de transport pour étudier la migration des molécules d’eau » indique Pierre-Yves Meslin.

En turquoise, les glaces d'eau présentes au pôle Sud de la Lune. Crédits : NASA.

La poussière est-elle mise en suspension sur la Lune ?

Spectromètre alpha, DORN détectera les désintégrations des descendants du radon. La désintégration du polonium-210 intéresse particulièrement les chercheurs car elle a lieu en moyenne 32 ans après celle du radon-222. La présence de polonium-210 en surface serait un indicateur de l'absence de mise en suspension du régolithe par les rayonnements, les particules solaires ainsi que les micro-météorites.

LIEU d'ATTERRISSAGE

Fin 2019, le site d’atterrissage de Chang’e 6 n’est pas encore défini. Si Chang’e 5 réussit sa mission, Chang’e 6 ciblera le pôle Sud. Une fois atterri, DORN fonctionnera durant 48 h avant le décollage du module de remontée. Ces 2 jours ne devraient pas permettre de déceler des variations temporelles du radon et notamment des bouffées possiblement liées à l’activité sismique de la Lune. « DORN est un démonstrateur de l’intérêt potentiel de ce type de mesure à la surface lunaire » souligne Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES.

ORGANISATION

DORN sera réalisé à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie IRAP (Université Toulouse III, CNRS, CNES) sous maitrise d’ouvrage du CNES, en collaboration avec le CEA (dont le LNE-LNHB), SUBATECH, le GIP d'Arronax et, à l’étranger, avec le soutien de l’Institut de géologie et géophysique de l’Académie des Sciences Chinoise, de l’Université de géosciences de Pékin, de l’Université Christian-Albrechts de Kiel et du Planetary Science Institute aux États-Unis.

Contacts

Pierre-Yves Meslin
Chercheur IRAP, investigateur principal de DORN
Mail : pierre-yves.meslin at rap.omp.eu

Francis Rocard
Responsable des programmes d'exploration du Système solaire du CNES
Mail : francis.rocard at cnes.fr
Tel : 01 44 76 75 98