12 Mai 2021

Fonte des glaciers : détricoter le local du global

Sous la houlette du laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS), une équipe internationale a mesuré l'évolution de l'ensemble des glaciers mondiaux sur une période de 20 ans. En moyenne, leur masse diminue de 267 milliards de tonnes par an, soit une perte cumulée de 4% en seulement 20 ans. Les auteurs confirment que ce phénomène s'accélère au niveau global avec la hausse des températures, et explique certains ralentissements au niveau local.

Le glacier Upsala en Argentine. Crédit : Étienne Berthier

À 713 km en orbite autour de la Terre, les caméras de l'instrument japonais ASTER (Advanced Spaceborne Thermal Emission and Reflection Radiometer) embarqué sur le satellite Terra de la NASA, photographient très régulièrement toute la surface du globe depuis 20 ans. La quantité astronomique d'images ainsi générée a permis à une équipe internationale dirigée par Romain Hugonnet et Étienne Berthier, glaciologues au LEGOS, de mesurer précisément l'évolution des glaciers. Chacun des 220 000 glaciers répertoriés sur Terre (en-dehors des calottes polaires) présente des spécificités individuelles mais, collectivement, ils perdent en moyenne 267 gigatonnes chaque année depuis 20 ans. C'est la première fois qu'une équipe parvient à obtenir une vision d'ensemble de l'évolution de la masse des glaciers sur une durée aussi longue.

500 000 images à traiter, et des anomalies à expliquer

Mise en évidence du recul sur 4 km du glacier Upsala qui s'étend sur 800 km 2. Images prises par ASTER entre 2003 et 2018.
Crédits : ASTER-NASA-JAXA-Étienne Berthier

Alors qu'on déplore un réchauffement climatique, comment les glaciers du massif du Karakoram (Ouest de l’Himalaya) ont-ils pu gagner de la masse jusqu'en 2015 ? Pourquoi, aujourd'hui encore, les glaciers de l'Atlantique nord fondent-ils moins vite que prévu ? L'étude publiée en avril 2021 dans la revue Nature donne une  explication cohérente aux diverses anomalies de ce genre, localisées dans le temps et l'espace. Pour cela, les chercheurs ont considéré les deux principaux facteurs pouvant impacter l'état des glaciers, à savoir la température et les précipitations. En effet, dans une zone qui s'assèche, les glaciers ne sont plus nourris par l'accumulation de neige à leur surface. Le manque de précipitations engendre donc une accélération dans la perte de masse. Ainsi, dans les Andes, la grande sécheresse de 2010 a considérablement intensifié l'amincissement du glacier des Andes centrales. A contrario, c'est une augmentation locale des précipitations qui explique le ralentissement de perte de masse observé depuis dix ans sur les glaciers autour de l'Atlantique nord.

Avec en moyenne 40 observations sur chacun des 220 000 glaciers, les chercheurs du LEGOS ont montré qu'à l'échelle globale les précipitations contribuent de façon modeste aux évolutions des glaciers en comparaison des températures. Or ces températures, en augmentation avec le réchauffement climatique, engendrent une accélération de la fonte des glaciers. Le jeu de données s'étalant sur deux décennies a mis en évidence cette accélération : entre 2000 et 2005, la perte moyenne annuelle était de 227 gigatonnes contre 298 gigatonnes par an sur la période de 2015 à 2020.

L'obtention de tels résultats a nécessité huit années de recherches et la contribution de trois doctorant(e)s (Fanny Brun, Inés Dussaillant et Romain Hugonnet) sous la direction d'Étienne Berthier. Au départ, le principe est assez simple: "il s'agissait de cartographier le changement des altitudes comme on le faisait dès les années 1950 à partir de deux photographies aériennes permettant de comparer les hauteurs de glaciers", estime le chercheur. La diminution d'épaisseur s'interprète ensuite comme une perte de masse. Si le principe était simple, le traitement statistique a rendu l'étude fort complexe. Il ne s'agissait plus de photos aériennes mais de 500 000 images satellitaires avec, sur chaque pixel, une résolution de 15 mètres par 15 mètres et de nombreuses valeurs erronées à éliminer.

L'après ASTER

Les glaciers Kongsfjorden au Svalbard, en Norvège, vu par Aster. Crédits : NASA-JAXA-Étienne Berthier

Les enjeux liés à la fonte des glaciers sont multiples. En premier chef, le risque repose sur l'élévation du niveau marin puisque la fonte des glaciers y contribue à hauteur de 20%. Les modèles de prédiction de l'érosion du littoral, du recul du trait de côte ou encore des submersions marines engendrés par la montée des eaux seront à reconsidérer en prenant en compte l'accélération de la fonte des glaciers. Autre conséquence majeure : l'amincissement d'un glacier correspond à la disparition d'une réserve d'eau douce. En hiver, ce monument de glace stocke le précieux liquide qu'il restitue partiellement en été. Tel un château d'eau, il permet de réguler la ressource.

Quand 267 gigatonnes s'éclipsent c'est l'équivalent, en France, de dix années de consommation d'eau douce tous besoins confondus (centrales électriques, agriculture, eau potable, etc.) qui se perdent. Dans les régions arides, ces réserves d'eau sont cruciales pour les populations. Afin envisager une meilleure gouvernance des territoires et de l'aléa climatique, des simulations intégrant ces données seraient plus représentatives. Aussi, des chercheurs américains, autrichiens et suisses les ont déjà insérées dans leur modèle.

Pour Étienne Berthier, l'impact de ces données dans la prise de décision politique justifie amplement d'envisager leur pérennité. Mais comment acquérir de nouvelles informations quand ASTER est en passe de s’arrêter après deux décennies ? "Aucune des missions actuelles ou à venir ne pourra combler ce vide. Avec le CNES, nous avons commencé à rêver à une suite". Un rêve qui prendrait la forme d'un satellite capable de surveiller en permanence la Terre avec des images stéréoscopiques, une revisite fréquente, une haute résolution et des données libres d'accès.

Contacts

  • Étienne Berthier

Directeur de recherche au LEGOS, équipe Cryosphère satellitaire (CNRS/CNES/IRD/Université Toulouse III – Paul Sabatier)
Adresse : Observatoire Midi-Pyrénées, 14 Avenue Edouard Belin, 31400 Toulouse
Mail : etienne.berthier@legos.obs-mip.fr
Tel : 05 61 33 47 15

  • Anne Lifermann

Responsable au CNES de la thématique "Cryosphère, côtier, littoral"
Adresse : Centre National d'Etudes Spatiales 18 avenue Edouard Belin 31401 Toulouse Cedex 09, France
Mail : anne.lifermann at cnes.fr
Tel : 05 61 28 21 43