29 Janvier 2021

L’océan austral se réchauffe en profondeur et menace les glaces de l'Antarctique

Des relevés haute résolution apportent la preuve que l’océan austral se réchauffe en profondeur. Publiés dans Nature Communications, ces résultats apportent un nouvel éclairage sur le mystère du refroidissement des eaux de surface autour de l’Antarctique en plein réchauffement climatique.

Glacier de l'Astrolabe (Antarctique) vu par un satellite Sentinel-2, le 19/01/2021. Crédits : European Union, contains modified Copernicus Sentinel data 2021, traitement CESBIO.

Tous les étés, chargé de vivres et d'équipements, le navire brise-glace Astrolabe fait de 3 à 5 allers-retours entre la Tasmanie (Australie) et la base scientifique française Dumont-d’Urville (Antarctique). Depuis 25 ans, à chaque trajet d’environ 2 700 km, une sonde est lancée tous les 20 km afin de mesurer la température depuis la surface jusqu’à 800 m de profondeur. Une équipe franco-australienne a étudié cette série de données unique pour cette région du globe — 10 000 profils de température récoltés entre 1993 et 2017 — et a dégagé une tendance au-delà de la variabilité inter-annuelle. Le Graal pour les climatologues !

Un scientifique largue une sonde de température depuis le navire Astrolabe. Crédits : Sebastien Chastenet/OMP/IPEV.

Refroidissement en surface, réchauffement en profondeur

Conformément aux observations satellitaires, les relevés montrent un refroidissement en surface de 0,07 °C par décennie. Mais dessous, tout est différent. Les chercheurs ont observé une poche d’eau plus chaude située entre 250 m et 450 m de profondeur, longue de 650 km, se réchauffant de 0,04 °C par décennie. « Cette hausse peut paraître faible, mais elle est constante et de 2 à 3 fois plus grande que la variabilité interannuelle. Surtout, nous avons trouvé que le maximum de température remonte de 39 m par décennie, soit entre 3 et 10 fois plus que les estimations antérieures » indique Matthis Auger, 1er auteur de l’article publié le 21/01/2021 dans Nature Communication et qui a mené ces analyses au LEGOS et au LOCEAN.

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Variation de la température de surface mesurée par des satellites entre 1993 et 2017. Crédits : LEGOS/LOCEAN/CLS/Matthis Auger, 2021.

La calotte polaire de moins en moins protégée

Cette remontée des eaux chaudes fait craindre de graves conséquences sur les glaces de l’Antarctique. « À l’ouest de la péninsule antarctique, on observe déjà une fonte importante de glaciers et un réchauffement en surface des eaux. On ne sait pas si cela pourrait arriver à moyen terme dans le reste de l’Antarctique, mais on voit apparaitre des 1ers signes qui tendent vers cette direction » souligne le jeune chercheur.

Pour expliquer le refroidissement en surface et le réchauffement en profondeur des eaux australes, les chercheurs font appel au réchauffement climatique et à la salinité. « Avec la fonte des glaciers et des changements de dynamique de la banquise, l’océan est moins salé et donc moins dense en surface. Ces eaux peu denses et plus froides, car au contact de l’air glacé, ne se mélangent pas avec les eaux plus salées et plus denses situées en profondeur. Ces dernières ne perdent plus de chaleur au profit de la couche de surface et se réchauffent. D’autres hypothèses sont évoquées telle que des changements de régime de vent faisant remonter cette masse d’eau chaude vers la surface » explique le doctorant financé par le CNES et CLS, qui se penche dorénavant sur les données des satellites Saral/Altika, Cryosat-2 et Sentinel-3 pour observer la circulation océanique sous la banquise Antarctique.

Glaciers de l'île de Lavoisier (péninsule Antarctique) vu par un satellite Pléiades, le 11/01/2021. Image acquise dans le cadre du Pléiades Glacier Observatory. Crédits : CNES, Distribution Airbus DS, traitement LEGOS, 2021.

Référence bibliographique

Southern Ocean in-situ temperature trends over 25 years emerge from interannual variability. Auger, M., et al. Nature Communications, 21 janvier 2021. DOI :10.1038/s41467-020-20781-1

Contact

  • Matthis Auger, chercheur au LOCEAN, matthis.auger at locean.ipsl.fr
  • Annick Sylvestre-Baron, responsable thématique océanographie au CNES, annick.sylvestre-baron at cnes.fr