3 Septembre 2019

[Lune] À quoi rêvent les scientifiques ?

L’essor des missions vers la Lune ouvre de trépidantes opportunités scientifiques. Quelles sont-elles ? La Lune conserve-t-elle encore des mystères ? Tour d’horizon des questions que se posent les chercheurs et qui touchent aussi à l’émergence de la vie sur Terre.

LES QUESTIONS QUE SE POSENT LES SCIENTIFIQUES

1- Quelle est l'origine de l'eau lunaire ? 

En août 2018, le spectromètre à infrarouge M3 de la Nasa embarqué sur la sonde indienne Chandrayaan-1 a apporté de nouvelles preuves de la présence de glaces d’eau aux pôles de la Lune. Cette existence était pressentie depuis les années 90 et les premières observations des pôles réalisées par la sonde américaine Clementine à laquelle la France a contribué. Quelle est l’origine de cette eau ? Cométaire ? Météoritique ? Pour le savoir, des carottages sont nécessaires. « Ces carottages pourraient révéler la présence d’autres éléments volatils piégés dans les glaces qui préciseraient encore l’origine de ces matériaux et des processus ayant eu lieu au tout début de l’histoire du Système solaire » souligne Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES.

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En bleu, les glaces d’eau repérées par Chandrayaan-1 aux pôles de la Lune. Ces glaces sont localisées au fond de cratères jamais illuminés par les rayons de Soleil. Les températures n’y dépassent jamais les - 150 °C. Crédits : NASA.

2- Y-a-t-il eu un grand bombardement tardif ?

Les roches de la face cachée de la Lune ont-elles le même âge que celles de la face visible ramenées par les missions Apollo ? Si oui, cela confirmerait la théorie du grand bombardement tardif qui établit une période d’intensification des impacts météoritiques et cométaires sur les planètes telluriques et la Lune autour de 4 milliards d'années avant notre ère. Cette théorie joue un rôle important dans la compréhension de l’émergence de la vie sur Terre — les météorites et comètes étant une source supposée de l’origine de l’eau sur notre planète.

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Les 2 faces de la Lune ont des apparences très différentes. La face visible abonde de plaines basaltiques (les tâches sombres) appelées  « mers lunaires ». La face cachée est dépourvue de mers et martelée de cratères d’impacts. Crédits : NASA/GSFC/Arizona State University.

Représentation d’artiste du grand bombardement tardif sur la Lune avec la Terre en arrière-plan. Crédits : Ron Miller.

3- La structure interne de la Lune est-elle dissymétrique ? 

Lors des missions Apollo, les astronautes ont déposé 4 sismomètres sur la Lune. Des chercheurs, dont Philippe Lognonné (le concepteur français du sismomètre SEIS actuellement sur Mars) ont récemment ré-analysé leurs données et établi que la Lune avait un noyau de 330 km de rayon avec, en son centre, une graine solide de 240 km de rayon (étude publiée en 2011 dans Science). Mais difficile d’avoir plus de précisions, notamment sur la nature des matériaux du noyau, car les 4 sismomètres ont tous été déposés sur la face visible de la Lune et dans une zone centrale. Installer des sismomètres sur la face cachée apparaît indispensable pour préciser le modèle surtout que la structure interne de la Lune serait asymétrique, avec un manteau plus chaud et une croûte plus mince sur la face visible ce qui expliquerait les nombreuses plaines de basaltes, résultats de l’épanchement de magmas à la surface.

Structure interne de la Lune. Représentation scientifique dominante. Crédits : NASA/MSFC/Renee Weber. 

4- Quelles découvertes astronomiques avec un radiotélescope installé sur la face cachée ?

Ne voyant jamais la Terre, la face cachée de la Lune est protégée des interférences provenant des activités humaines. Des astrophysiciens, notamment français, étudient la possibilité d’y installer un ou plusieurs radiotélescopes afin de capter les faibles ondes radios venant des planètes géantes, des étoiles ou de la Galaxie, et ainsi ouvrir une nouvelle fenêtre électromagnétique d’observation de l’Univers.

 

LE BASSIN POLE SUD-AITKEN, ELDORADO SCIENTIFIQUE 

Un site particulier permettrait de répondre à toutes ces questions : le bassin Aitken près du Pôle Sud et situé sur la face cachée de la Lune. Avec ses 2 500 km de diamètre et 13 km de profondeur, il est le plus grand cratère d’impact connu à ce jour dans le Système solaire. 

Aller dans un cratère si profond, c’est remonter à l’origine de la Lune

indique Francis Rocard.

Ce profond bassin est parsemé lui-même de nombreux cratères. Cerise sur le gâteau, le bassin Aitken couvre la zone des pics de lumière éternelle du pôle Sud sur lesquels des astronautes pourraient installer des panneaux solaires photovoltaïques pour produire l'énergie nécessaire à leur activité. « Si une base lunaire doit être installée dans les années à venir, ce sera assurément au pôle Sud » souligne Francis Rocard. 

Le bassin Pôle Sud-Aitken (en bleu/violet) vu par la sonde Clementine. La couleur pourpre représente les basses altitudes, la tache blanche le pôle Sud et en rouge les altitudes élevées. Crédits : The Clementine Project.

 

LES FUTURS PROJETS SCIENTIFIQUES SUR LA LUNE

Du côté américain : Artemis

En 2024, la NASA prévoit l’atterrissage d’une femme et d’un homme au pôle Sud de la Lune dans le cadre de son programme Artemis. Comme pour Apollo, les 2 astronautes n’arriveront pas les mains vides mais chargés d’instruments scientifiques notamment pour la recherche quantitative de l’eau aux pôles. Ils en repartiront aussi chargés d’échantillons. Experts dans l'analyse d’échantillons extra-terrestres, des laboratoires français seront très certainement sollicités pour les analyser. 

En juillet 2019, la NASA a présenté les 12 projets de recherches scientifiques et techniques présélectionnés dans le cadre de son programme Commercial Lunar Payload Services (CLPS). La France est impliquée dans certains de ces projets comme le rover d’Astrobotic pour lequel le CNES envisage de fournir des caméras performantes. Le CNES discute aussi des possibilités de coopération sur des caméras et les opérations d’un rover lunaire de l’Agence spatiale des Émirats arabes unis qui serait déposé sur la Lune via le programme CLPS. 

L’ESA fournit les modules de service et de propulsion des vaisseaux Orion qui emmèneront les astronautes vers la Lune et les ramèneront ensuite sur Terre avec parfois des prélèvements lunaires dans les bagages. Crédits : ESA/D. Ducros.  

Du côté européen : Heracles

L’Agence spatiale européenne (ESA) étudie la réalisation de la mission Heracles de retour d'échantillons automatique de la Lune via la station Gateway et le vaisseau Orion. Heracles permettrait à l’Europe de développer les technologies de l’atterrissage et du redécollage de la Lune dans le cadre d’une mission à haut intérêt scientifique.

 

Du côté chinois : Chang'e 5 & 6

La mission Chang’e 5 est prévue pour s’élancer vers la Lune à la fin de l’année 2019 avec, en ligne de mire, le 1er retour d’échantillons lunaires depuis la mission soviétique Luna 24 en 1976. Le site d’atterrissage visé est le Mons Rümker, un édifice volcanique situé dans l’Océan des Tempêtes. Situé sur la face visible de la Lune, il serait âgé de 3,5 à 3,7 milliards d’années. Experts de l’analyse des échantillons extraterrestres, le CRPG de Nancy devrait en recevoir quelques échantillons après leur arrivée sur Terre dans le cadre d’un laboratoire international associé (LIA) entre la France et la Chine. 

Programmé pour 2023, la mission Chang’e 6 devrait embarquer un instrument scientifique français. Les projets actuellement considérés par le CNES et les laboratoires français portent essentiellement sur des instruments de surface visant à aider la collecte d’échantillons par l’atterrisseur chinois :

  • radar de sous‐surface pour étudier la nature du sous‐sol, instrument d’analyse de la composition minéralogique in situ
  • caméra équipée de filtres destinée à déterminer le contexte minéralogique du terrain sur lequel se déroulera la collecte
  • mesure du radon lunaire pour l’étude du dégazage et du transport des volatiles lunaires
  • spectromètre infrarouge pour optimiser la collecte des échantillons

 

Le site d’atterrissage n’est pas encore défini mais si la mission Chang’e 5 réussit, Chang’e 6 pourrait cibler le pôle Sud, voire même la face cachée de la Lune ! 

Représentation d'artiste du décollage du module contenant les échantillons lunaires lors des missions Chang’e 5 & 6. Crédits : CNSA.

Du coté russe : Luna Resours 

L’Europe coopère avec la Russie sur la mission Luna Resours (Luna 27) dont le lancement est prévue en 2024. Cette mission consisterait à poser un atterrisseur dans le bassin Aitken et collecter des échantillons jusqu’à 1-2 m de profondeur grâce à une foreuse fournie par l’ESA, puis les ramener sur Terre. Les géochimistes français se préparent à répondre à l’appel à projets pour obtenir des échantillons du régolithe polaire et en déterminer leur contenu en eau et autres éléments chimiques. 

La foreuse Prospect fonctionnera par –150°C. Crédits : ESA.

UNE TRADITION DE COOPERATION

La diversité des projets lunaires dans lesquels sont engagés des scientifiques français et le CNES soulignent la tradition de coopération de notre pays. La France s’est associée très tôt aux 2 acteurs historiques du spatial (États‐Unis et URSS) pour  participer à des missions d’exploration planétaires complexes et coûteuses. Elle le fait aujourd'hui avec les nouveaux acteurs tel que la Chine. La France a toujours cherché à élargir ses domaines d’exploration et valoriser son expertise dans l'analyse des échantillons extraterrestres. Elle a développé une culture d’ouverture la mettant en position de participer à des projets vers la Lune qu’ils soient portés par des agences d’autres nations (ESA, NASA, CNSA, ...) ou des intervenants privés (partenariat avec la société indienne TeamIndus pour la fourniture de 2 micro-caméras dont les images seront analysées par des scientifiques français).