27 Mars 2018

Mieux comprendre les éruptions solaires pour les prévoir

En étudiant les phénomènes de formation des éruptions solaires, une équipe de scientifiques français a mis en évidence un processus qui pourrait permettre de les prévoir et d’en estimer la puissance. Une étape essentielle pour se prémunir un jour des effets nocifs de ces gigantesques libérations d’énergie. Échange avec Tahar Amari, chercheur au Centre de physique théorique, CNRS-Ecole Polytechnique et premier auteur de l’étude.

Il arrive qu’une éruption solaire dégage, en plus de flashs lumineux et d’ondes de particules chargées magnétiquement, une bulle de plasma. Cet événement, que l’on appelle aussi une éjection de masse coronale, n’est généralement pas dirigé directement vers la Terre, ou alors avec une faible intensité. Mais ce sont des phénomènes pris très au sérieux, car ils présentent un danger de « tempête magnétique » : perturbation des signaux radio et des communications (GPS, UHF…), pics de courant sur les installations électriques, danger pour les astronautes, etc.

Il est aujourd’hui possible, grâce à des satellites comme SOHO, DSCOVR ou SDO, de capter ces bulles de plasma, et même d’observer les éruptions… Mais aussi, avec les travaux d’une équipe du CNRS, de l’école Polytechnique Paris-Saclay, du CEA et de l’INRIA, de les prévoir. Et même de révéler (grâce à des supercalculateurs) avec quels mécanismes évoluent les propriétés des champs magnétiques lors des éruptions solaires. « On cherche à savoir comment s’accumule cette énergie, à comprendre ce qui est responsable de ces éruptions », explique M. Amari.

Une histoire de champ magnétique

Petit retour en arrière. En 2006, le satellite japonais Hinode (aussi appelé Solar B) observe une région particulière du Soleil au cours d’une éruption du 12 au 13 décembre. Pour la première fois, l’équipe de chercheurs menée par Tahar Amari observe une perturbation magnétique reliant la photosphère (couche interne que l’on appelle parfois la « surface » du Soleil) à sa couronne (couche la plus haute de l’atmosphère solaire, qui se dilue dans l’espace). Ces lignes de forces étant torsadées, les scientifiques parlent de corde magnétique.

En 2014 dans un premier article qui fait la Une de Nature, ils montrent grâce à une simulation numérique que l’apparition d’une corde constitue en fait un prérequis pour qu’une éruption solaire ait lieu. Sans ce « lasso magnétique » dont l’énergie augmente au fur et à mesure qu’il passe les couches externes du Soleil, une éjection de masse coronale ne pourrait avoir lieu !

Mais pour étudier ce phénomène, il faut comprendre comment fonctionne le champ magnétique de la couronne solaire. C’est une zone compliquée : par un mécanisme encore mal compris, les températures y sont phénoménales (entre 1 et 3 millions de degrés Celsius !) et cela induit des rayonnements (rayons X, ultraviolets, etc.) particulièrement puissants… Et le champ magnétique ? « Malheureusement, on ne peut pas l’observer directement, notre objectif a donc été de le révéler à partir des données du champ magnétique de la photosphère. » explique M. Amari.

En 2014, la sonde américaine SDO (Solar Dynamics Observatory) observe une région particulièrement active du soleil avec l’instrument HMI (Helioseismic and Magnetic Imager). La zone, aussi large que Jupiter est propice aux éruptions solaires...

Un événement majeur le 24 octobre produit un « flash » qui perturbera quelques communications terrestres. Cette fois, Tahar Amari et ses collègues disposent de données de meilleure qualité, valables pour l’ensemble du Soleil. « À l’aide d’équations de la mécanique des fluides électriquement conducteurs, appliquées au cas du Soleil, on obtient comme un instantané du champ magnétique. En répétant cette opération, cela nous permet de visualiser le champ magnétique en chaque point de la couronne tout au long du développement qui précède l’éruption solaire ». Un peu comme une échographie sur le ventre d’une femme enceinte.

Vers une métérologie solaire

En comprenant comment les champs évoluent au cours du temps, les chercheurs ont pu mettre en place une méthode pour prévoir l’évolution des interactions entre la corde magnétique et son environnement et l’énergie qui pourrait être libérée. Comme un modèle de « météorologie magnétique » dans la couronne solaire !

st_echographie_magnetique_soleil.png

Échographie magnétique  à l’aide des données du champ magnétique  à  la surface du Soleil (satellite  SDO de la NASA) et d’un modèle puissant multi-échelles quelques minutes avant le début de l’éruption. Le résultat révèle la présence d’une cage magnétique renforcée multicouche dans laquelle se développe pendant les dernières heures avant l’eruption la corde magnétique.
© Tahar Amari  et al./Centre de physique théorique, CNRS-Ecole Polytechnique, FRANCE

Lors d’un phénomène éruptif, cela permet de comprendre pourquoi il n’y a parfois pas d’éjection de bulle de plasma : les champs magnétiques de la couronne solaire forment une « cage » magnétique très résistante, sur plusieurs couches. « Cette cage est à la fois le terrain propice au développement d’un phénomène de corde, une enveloppe idéale (conditions de pression et de tension magnétiques), et l’environnement qui va la contenir », détaille M. Amari. Il arrive toutefois que la corde brise sa cage et rompe cet équilibre (c’est l’éruption solaire, avec éjection de masse coronale), ou que sa torsion perturbe l’enveloppe au point de libérer un important « flash » énergétique comme celui observé en octobre 2014.

En réussissant à observer et à comprendre ces interactions cage-corde, l’équipe ouvre non seulement la porte à une meilleure prédiction des éruptions solaires, mais aussi à l’estimation de l’énergie maximale qu’elles pourraient libérer.

Alors, quelle est la prochaine étape ? « Disposer des données de la future sonde Solar Orbiter de l’ESA avec la participation du CNES. Avec son orbite hors du plan de l’écliptique, elle nous fournira un point de vue différent et permettra de mieux caractériser les champs magnétiques. En particulier avec STIX, son spectromètre en bande X. » Une étude capitale pour comprendre les mécanismes de notre soleil et de sa couronne, mais aussi pour mieux caractériser les étoiles des systèmes voisins, que l’on scrute à la recherche d’exoplanètes …

REFERENCES DE LA PUBLICATION

Contacts

  • Tahar Amari, chercheur au Centre de physique théorique, CNRS-Ecole Polytechnique : tahar.amari at polytechnique.edu
  • Kader Amsif, responsable du programme Soleil, Héliosphère Magnétosphère au CNES : kader.amsif at cnes.fr

Modélisation de la corde magnétique (en bleu) en éruption, expulsant la cage magnétique (en orange).
© Tahar Amari  et al., Centre de physique théorique, CNRS-Ecole Polytechnique, FRANCE