3 Juin 2019

Une eau cométaire compatible avec celle des océans

Malgré le dynamisme des découvertes en astronomie, l'origine de l'eau sur Terre demeure un mystère. Les scientifiques s'interrogent en particulier sur la nature des planétésimaux qui auraient apporté le liquide sur notre planète. Dans une lettre publiée dans Astronomy & Astrophysics en avril 2019, une équipe internationale présente la troisième comète ayant une eau de même composition que sur Terre.

Image de la comète 46P/Wirtanen prise le 3 janvier 2019. Crédits : Observatoire de Paris - PSL / LESIA - Nicolas Biver

Le 16 décembre 2018 fut son jour de gloire sur la Terre. Plus proche que jamais, la comète 46P/Wirtanen brillait de ses mille et une paillettes de glace aux yeux des télescopes qui tous s'étaient tournés vers elle. En passant à 11 millions de kilomètres de notre planète, soit 30 fois la distance Terre-Lune, elle était à peine visible à l'œil nu mais dévoilait aux instruments astronomiques de nombreuses informations. Dans l'avion SOFIA, un Boeing 747 transformé en observatoire stratosphérique par la Nasa et le Centre aérospatial allemand DLR, un spectromètre mesurait l'eau produite dans le halo de la comète. L'analyse des données par une équipe internationale montre une composition similaire à celle de l'eau terrestre. De quoi raviver le débat sur l'origine du liquide si précieux pour la vie sur notre planète.

Halley et les autres comètes

L'hypothèse qui prévaut actuellement est que l'eau serait arrivée sur la planète bleue après sa formation, au cours d'une période de bombardement tardif par des corps célestes contenant de l'eau glacée comme des astéroïdes ou des comètes. Pour déterminer lequel de ces corps est le véritable pourvoyeur du liquide océanique, les chercheurs ont comparé le rapport isotopique entre l'hydrogène lourd, appelé deutérium (D) et l'hydrogène (H) dans chacune des eaux considérées. Sur Terre, ils se sont basés sur l'eau océanique normalisée de Vienne (VSMOW), une eau distillée pure censée représenter la composition isotopique moyenne de l'eau terrestre. Dans l'espace, les premières mesures d'eau cométaire ont été réalisées sur la comète de Halley en 1986 par la sonde européenne Giotto. Son rapport D/H était supérieur à celui trouvé dans le VSMOW. Il n'y avait donc aucun lien a établir entre l'eau terrestre et l'eau cométaire. La plupart des enregistrements ultérieurs corroboraient ces premières conclusions. Aussi, fin 2018, il était admis que l'eau terrestre ne provenait pas des comètes sauf pour une poignée de spécialistes intrigués par deux comètes (45P et 103P)  dont le rapport isotopique était similaire à celui de l'eau terrestre.

L'eau de Wirtanen correspond à celle des océans

Parmi ces dubitatifs, Dominique Bockelée-Morvan, chercheuse au Laboratoire d'étude spatiale et d'instrumentation en astrophysique (LESIA) qui a largement contribué au regain d'intérêt pour les comètes et co-auteur de l'étude qui rebat les cartes sur l'origine de l'eau : "Le principal auteur de l'étude était à bord de SOFIA en décembre 2018. Ayant contribué au développement du spectromètre GREAT embarqué sur l'avion, il disposait d'un temps garanti à bord. Grâce à cet instrument, nous avons pu mesurer le rapport D/H  de 46P/Wirtanen qui s'est révélé identique à celui de l'eau terrestre."

Préparation du spectromètre GREAT installé à bord de l'avion SOFIA avant une campagne de vols. Crédits : NASA/Carla Thomas

Les chercheurs se sont alors aperçus que les trois comètes ayant un rapport D/H terrestre étaient toutes hyperactives, autrement dit, à l'approche du Soleil, Leur noyau parvient à soulever de petits grains de glace qui sont libérés dans l’atmosphère de la comète. Cette chevelure gazeuse est particulièrement spectaculaire lorsqu'elle se prolonge en deux queues lumineuse pouvant s'étendre sur des millions de kilomètres. Dans une comète ordinaire, la chevelure est composée essentiellement de vapeur d'eau issue des glaces couvrant la surface de la comète tandis que dans une hyperactive s'y mélange l'eau provenant des grains du noyau.

Dominique Bockelée-Morvan et ses collègues pensent que les rapports D/H mesurés dans le halo gazeux des comètes ordinaires n'est peut-être pas représentatif de celui du noyau. " Il est possible que l'eau de surface se sublime de façon fractionnée en éjectant vers l'atmosphère l'eau deutérée plus facilement que l'eau à base d'hydrogène. Si tel est le cas, seuls les grains de glace provenant du noyau, observables dans les comètes hyperactives, nous donneraient le rapport originel D/H de la comète".
C’est ce qui expliquerait que celui des comètes observées jusqu’à présent soient nettement au-dessus des océans terrestres. Ainsi, toutes les comètes, qu'elles soient hyperactives ou non, pourraient avoir un rapport D/H commun que seules les premières révèlent. Et ce rapport, à l'instar de 46P/Wirtanen, serait proche de celui de la Terre.

Cette nouvelle interprétation relie directement la composition des noyaux cométaires à celle des océans. Toutefois, les chercheurs en appellent à un approfondissement lors de la prochaine apparition d'une comète à proximité de la Terre. L'heureuse élue 67P/Churyumov-Gerasimenko, bien qu'ordinaire, animera le ciel en novembre 2021.

bibliographie

Terrestrial deuterium-to-hydrogen ratio in water in hyperactive comets, A&A 625, L5 (2019)

Contacts

Dominique Bockelée-Morvan
Laboratoire d'étude spatiale et d'instrumentation en astrophysique (LESIA) (Observatoire de Paris – PSL/CNRS/Sorbonne Université/ Université de Paris) : 01 45 07 76 05

Francis Rocard
Responsable du programme d'exploration du Système Solaire au CNES : francis.rocard at cnes.fr