Jusqu'à présent l'imagerie de l'intérieur de la Terre était établie à partie de données sismiques. La possibilité de pouvoir disposer d'une nouvelle source d'information indépendante devrait contribuer à faire progresser notre connaissance de la dynamique du manteau.
Notre planète est un système très dynamique, comme en témoignent les éruptions et séismes qui l'agitent régulièrement. Ces évènements catastrophiques sont une manifestation des lents mouvements qui se produisent dans les profondeurs du manteau. En effet, l'intérieur de la Terre n'est pas homogène, et sa densité varie non seulement en fonction de la profondeur, mais aussi géographiquement.
Selon le principe de la poussée d’Archimède, ces variations de densité créent des forces à l’origine de courants convectifs. Elles proviennent de variations de température (du matériel plus chaud devient plus léger), ou de composition chimique du manteau (certains minéraux sont plus lourds et tendent à «couler»). Cette répartition de masse et son origine, en termes de température et de composition du manteau, restent mal connues. La sismologie a permis des progrès considérables pour imager le manteau grâce aux cartes d’anomalies des vitesses de propagation des ondes sismiques. Toutefois, traduire ces variations de vitesse en densité est délicat et nécessite des informations complémentaires.
Ces hétérogénéités de masse créent des variations spatiales de l'attraction gravitationnelle terrestre, qui sont mesurées avec une très grande précision par des satellites. Ainsi, le satellite GOCE, qui a volé de mars 2009 jusqu’en novembre dernier, fournit un nouveau type d’observations pour étudier la distribution des masses terrestres : les gradients de gravité. Le principe consiste à mesurer les variations fines du vecteur gravité dans les trois directions de l’espace. Ces mesures « vectorielles » sont beaucoup plus sensibles à la géométrie des anomalies de masse que les observations classiques de l’intensité de la gravité.
Ces gradients de gravité ont été mesurés pour la première fois depuis l’espace par le gradiomètre de la mission GOCE, avec une précision optimale pour des échelles inférieures à 750 km. L'objectif principal de cette mission était de déterminer au mieux, grâce à ces mesures, les variations de la gravité de la Terre jusque 90 km de résolution. Ceci permet de cartographier la surface horizontale globale, sur laquelle une bille posée ne roule pas, et qui est indispensable aux océanographes pour étudier les courants marins. Un autre objectif est l'étude de la structure de la lithosphère, cette couche superficielle rigide comprenant la croûte et une partie du manteau supérieur.
Toutefois, les gradients de gravité de la Terre offrent aussi une vision inattendue de la répartition des masses plus profondément au sein de notre planète, jusqu’à ~1500 à 2500 km dans le manteau selon l'importance des anomalies de masse.
A partir des gradients de gravité de la Terre reconstruits par le GOCE High-Level Processing Facility en combinant les mesures du gradiomètre avec un modèle basé sur l’orbite du satellite aux plus grandes échelles spatiales, les auteurs de cette étude ont construit des cartes globales d’anomalies de gradients le long des orbites. Ces anomalies représentent l’écart entre la distribution en densité de notre planète et celle d’un modèle simple de Terre sphérique mise en rotation, à l’équilibre hydrostatique. Des variations infinitésimales observées dans la direction Nord de la composante Nord du vecteur gravité révèlent des anomalies de masses de direction Est-Ouest. De la même manière, les gradients Ouest-Ouest soulignent les anomalies de masse étirées dans la direction Nord-Sud.

En haut : anomalies de gradients gravitationnels Ouest-Ouest, le long de l'orbite de GOCE mettant en évidence d'anciennes zones de subduction le long de l'Amérique et en Asie. © Panet et al. Nature Geoscience jan. 2014
Au milieu : anomalies de gradients gravitationnels radiaux, le long de l'orbite de GOCE, mettant en évidence les panaches du manteau. © Panet et al. Nature Geoscience jan. 2014
En bas : anomalies de gradients gravitationnels Nord-Nord, le long de l'orbite de GOCE, mettant en évidence des structures liées à l'ancien océan Téthys. © Panet et al. Nature Geoscience jan. 2014
Ces nouvelles données mettent en évidence plusieurs faits marquants :
- la présence de structures à grande échelle le long de la ceinture des anciennes zones de subduction autour de l’Océan Pacifique, traversant tout le continent Américain et l’Asie. L'étude montre qu'elles reflètent une structuration Nord-Sud des masses du manteau inférieur, Elle sont attribuées aux plaques subductées sous l’Amérique et sous l’Asie. Cette interprétation est cohérente avec les anomalies de vitesses sismiques observées dans le manteau inférieur.
- des anomalies dans le gradient radial coïncidant avec les localisations des super-panaches du manteau inférieur, dans l’Océan Pacifique et au sud de l’Afrique.
- le long de l’ancienne subduction de l’ancien océan Téthys, qui s’étend de la Méditerranée à l’Himalaya, les gradients suggèrent une orientation Est-Ouest notable des masses dans le manteau supérieur, cohérente avec certains modèles de tomographie sismique.
Alors que les mesures classiques de gravité localisent les centres des anomalies de masse, les gradients sont aussi sensibles à leurs bords si ces anomalies ne sont pas trop profondes. C'est pourquoi ces données permettent de mieux caractériser leur forme. L'altitude satellitaire permet de sonder des profondeurs allant jusqu'au mi-manteau (1500 km), voire plus profondément pour des anomalies de masse importantes.
La cohérence entre les géométries des anomalies de gradients et celles des anomalies de vitesses sismiques signifie que la combinaison de ces deux types d’observations, aux échelles globale à régionale, est possible, pour apporter de nouvelles informations sur la distribution des masses de notre planète. Ceci devrait permettre de faire avancer notre connaissance de la structure thermique du manteau terrestre, de sa composition et de sa dynamique.
Références de l'article
Mapping the mass distribution of Earth’s mantle using satellite-derived gravity gradients, Isabelle Panet, Gwendoline Pajot-Métivier, Marianne Greff-Lefftz, Laurent Métivier, Michel Diament & Mioara Mandea. Nature Geoscience, mis en ligne le 19 janvier 2014
Contacts
- Contact scientifique : Isabelle Panet, IGN
- Responsable de la thématique Terre solide : Mioara Mandea, CNES
Voir aussi
- Source : Actualités du CNRS-INSU